Et si nous prenions le temps de s'interroger sur notre addiction au téléphone, et plus particulièrement aux réseaux sociaux…
Toutes les plateformes des réseaux sociaux ont démarré avec de bonnes intentions. Twitter était un lieu pour partager des infos d’actualité et des opinions progressistes. Facebook était un moyen de partager des photos et des nouvelles avec ses amis et sa famille. Instagram, qui au départ n’était pas du tout axé sur l’individu, était une superbe plateforme visuelle dédiée à l’art, le style, et la photographie. Si tous les réseaux ont conservé certains éléments de leurs modestes débuts, ils ont révélé leur côté obscur au cours de la dernière décennie. Twitter est devenu une arène de discours haineux et de communautarisme. Facebook a été pointé du doigt plusieurs fois pour sa politique de protection des données des utilisateurs qui lui permet de transmettre nos informations à des entreprises et partis politiques. Instagram a été élu à plusieurs reprises l’application la plus néfaste pour la santé mentale des jeunes en raison de sa représentation irréaliste de la beauté et du succès, diffusée par des influenceurs rémunérés, mais aussi par une majorité d’utilisateurs qui veulent projeter "la meilleure version d’eux-mêmes" aux yeux des autres.
Des études d’ampleur ont démontré les conséquences des réseaux sociaux sur les jeunes, notamment l’étude de JAMA Psychiatry portant sur 6600 adolescents américains, qui a indiqué que ceux qui passaient plus de trois heures par jour sur les réseaux étaient plus susceptibles de développer des troubles anxieux et dépressifs. Une étude impliquant 16 000 adolescents chinois publiée par Elsevier a également établi une corrélation entre le temps passé devant un écran et la dépression. Les auteurs ont d’ailleurs souligné que ces données constituaient "une préoccupation majeure de santé publique". Au Royaume-Uni, 61% des filles âgées de 11 à 21 ans ont exprimé l’impression de devoir présenter une apparence "parfaite" (Girl’s Attitudes Survey). Mais ces recherches semblent nous révéler des choses que nous savons déjà, de notre propre expérience. La technologie étant si récente et changeante, il est difficile de produire des données quantitatives sur l’impact exact des réseaux sociaux sur notre comportement. Mais certains thèmes généraux restent identifiables, qui sont représentatifs de notre expérience.
Comment les réseaux sociaux nous affectent-ils ?
1. Nous sommes bien plus stimulés qu’avant, mais cela a anéanti notre capacité de concentration
Vous vous souvenez de ce sentiment qu’on appelle l’ennui ? Quand il fallait faire la queue ou patienter en salle d’attente chez le dentiste. Ce sentiment que vous ne ressentez désormais que quand votre téléphone n’a plus de batterie et que vous n’avez pas de chargeur à portée de main. Également connu sous le nom de panique.
Ces vingt dernières années, notre capacité de concentration a chuté à huit secondes – soit moins que celle d’un poisson rouge. Notifications, défilement sans fin, lecture automatique, et applications au design séduisant ont sérieusement nui à notre niveau d’attention.
"Il a été prouvé que le simple fait d’avoir un smartphone à proximité est un obstacle à la concentration, même si vous n’êtes pas en train de l’utiliser", affirme Erin Vogel, psychologue sociale basée à San Francisco.
Tristan Harris, ancien éthicien en design Chez Google et repenti de la Silicon Valley, explique dans son TED talk ("Comment une poignée d’entreprises technologiques contrôle des milliards de cerveaux chaque jour") que les réseaux sociaux ont été conçus en utilisant la psychologie persuasive pour nous forcer à y revenir éternellement. Dans ce que l’on appelle désormais "l’économie de l’attention", les applications rivalisent pour mettre la main sur le temps des consommateurs. Et la banque gagne à tous les coups.
"Ma capacité de concentration est détruite", raconte Natasha Slee, spécialiste des réseaux sociaux qui gère la stratégie et la création de contenus pour des marques médias. "Je me suis complètement reconnue dans ce poster de Douglas Coupland qui dit ‘Mon cerveau pré-Internet me manque’. Ce qui me manque, c’est ce que je faisais avant quand j’avais un moment, au lieu de me jeter sur mon téléphone et de faire défiler les contenus. Consommer passivement du contenu sur nos téléphones confisque du temps que l’on pourrait passer à apprécier ce qui nous entoure et à communiquer avec les autres dans la vraie vie. Je me demande toujours à quoi la vie ressemblerait sans [cette consommation de contenus] : est-ce que je serais plus intelligente ? Ma relation serait-elle meilleure ? Serais-je plus en forme ? Plus cultivée ?"
2. Nous pratiquons l’auto-objectification, sur notre apparence et notre vie
Non seulement nous jugeons les autres d’après une série d’images, décidant ainsi qui suivre, ne plus suivre, liker ou ignorer, mais nous avons aussi appris à nous juger nous-mêmes de l’extérieur. Renvoyons-nous une image sociable, séduisante, performante ? Digne d’un like ? Nous identifions nos aspects les plus vendeurs, et nous en faisons la promotion auprès de nos pairs sur les réseaux sociaux d’une manière qui aurait eu l’air très anormale pour les générations précédentes. "Instagram nous a transformés en mini-marques et chroniqueurs visuels de nos propres vies", commente Natasha Slee.
L’action de nous voir nous-mêmes comme les autres nous verraient, et de nous juger comme les autres nous jugeraient, s’appelle l’auto-objectification. Dr Helen Sharpe, psychologue spécialiste de la santé mentale des adolescents, explique : "L’auto-objectification se produit quand votre valeur en tant qu’individu est purement basée sur votre corps. Puisque vous êtes conscient que votre valeur est basée sur votre corps physique, vous faites l’objet d’une surveillance de la part des autres – en résumé, ils vous observent pour juger de votre valeur, et avec le temps, vous internalisez cette expérience, de sorte que vous vous auto-surveillez constamment pour avoir autant de valeur que possible. Cela marche parfaitement avec les réseaux sociaux et l’idée que vous pouvez projeter une certaine version de vous-même."
3. Nous avons les mêmes rêves, les mêmes aspirations, façonnés par les réseaux
Les réseaux sociaux présentent une vision limitée d’une vie "réussie", en glorifiant un certain lifestyle visuel, des tenues instagrammables, et des carrières glamour. Il n’y a rien d’instagrammable dans des bureaux en open space, un hôpital, ou une salle de classe – et les aspirations de la prochaine génération sont une confirmation directe de l’effet de cette vision réduite. ‘Influenceur sur les réseaux sociaux’ et ‘YouTuber’ étaient les deuxième et troisième réponses à la question ‘Que voulez-vous devenir plus tard ?’ posée à des Britanniques de 11 à 16 ans par AWIN, un réseau mondial de marketing d’affiliation. D’après l’étude Indian Kids Digital Insights 2019, 73% des enfants qui vont sur les réseaux sociaux demandent à leurs parents de leurs acheter des produits qu’ils ont découverts via des enfants influenceurs. Et dans un article intitulé "Les dangers qui se cachent derrière la course aux likes des jeunes sur les réseaux sociaux" publié sur Channel News Asia, un parent singapourien raconte avoir surpris son enfant de 5 ans en train d’imiter un vloggeur devant le miroir, en répétant : "Cliquez ici pour vous abonner. Cliquez ici pour plus de contenus."
Nous ne pouvons pas tous devenir influenceurs, YouTubers, et #GirlBosses à succès. Avec tous ces posts de citations inspirantes qui nous incitent à devenir meilleurs et à poursuivre nos rêves, les réseaux sociaux nous ont peut-être rendus plus ambitieux, mais ils ont aussi créé une énorme pression pour devenir quelqu’un d’exceptionnel – et plus spécifiquement, dans une profession agréée par les réseaux sociaux.
4. Sur une note positive : nous avons découvert notre pouvoir collectif
Du côté positif des choses, les réseaux sociaux nous ont donné du pouvoir. Nous avons découvert que l’union faisait la force, et nous avons aujourd’hui la possibilité de nous rapprocher des autres, d’une part pour être moins seuls, et d’autre part pour inciter au changement.
"Voir la communauté mondiale de femmes noires être active sur Instagram m’a permis de confirmer mon existence, d’une manière que je n’aurais jamais pu intégrer sans les rappels constants de femmes que j’admire sur les réseaux sociaux ", affirme Lynette Nylander, consultante en création de contenus.
De la communauté LGBTQ+ en ligne, au mouvement body positive, en passant par #MeToo, les réseaux sociaux ont créé un sentiment d’unité et ont rendu possible une sorte de pouvoir collectif. Ils nous ont permis de nous éduquer et de nous défendre les uns les autres, et de créer un sentiment de communauté. Ils ont donné une voix aux personnes réduites au silence.
Et maintenant ?
Les générations Y (Millennials) et Z (après 1997) ont été les cobayes des réseaux sociaux. Mais depuis environ un an, les choses changent. Le nombres de rebelles de la Silicon Valley se faisant entendre est en hausse. Facebook et Instagram font enfin des efforts, notamment avec des essais de suppression des likes visibles. Le nombre d’influenceurs révélant la réalité de leurs vies "parfaites" ne cesse de grimper. "Au bout d’un moment, je crois que j’ai pris mon personnage pour ma véritable identité, et que j’ai enfoui tout ce qui pourrait nuire à ma popularité, de sorte que j’ai fini par oublier ce que j’étais", écrit Tavi Gevinson dans un article intitulé "Qui serais-je sans Instagram ?" publié sur The Cut.
Quand on réalise que les vies de rêve que nous ont vendues les réseaux sociaux ne sont peut-être pas si merveilleuses, on peut commencer à se recentrer sur ce que nous voulons réellement en tant qu’individus dotés de libre-arbitre, et non en tant que consommateurs addicts au contenu.
Erin Vogel est optimiste. "Utilisés avec modération, les réseaux sociaux peuvent être plus bénéfiques que néfastes pour la plupart des utilisateurs. Je ne crois pas que l’expérience puisse être 100% positive, mais il y a des bons côtés." Elle insiste par ailleurs sur la nécessité d’une recherche plus approfondie "pour nous aider à comprendre dans quel contexte les réseaux sociaux sont nocifs, et dans quel contexte ils sont inoffensifs (voire utiles)".
Natasha Slee explique que cela "ne peut qu’évoluer avec la prochaine génération. Les réseaux sociaux sont tellement incrustés dans notre culture au-delà des applications sur nos smartphones, que je ne pense pas qu’ils puissent disparaitre au cours des dix prochaines années." Elle espère que les plateformes prendront leurs responsabilités concernant le potentiel d’addiction de leur design.
La décennie 2010-2019 était la période d’essai. Si la technologie qui donne vie aux réseaux sociaux pouvait développer une conscience, peut-être à l’aide de l’intelligence artificielle, et si les utilisateurs pouvaient comprendre les conséquences que leurs posts d’autopromotion et leurs tweets nocifs peuvent avoir sur les autres, la décennie suivante pourrait être celle d’une profonde réforme sociale. Si et seulement si… Et vous, êtes-vous prêts à vous détacher des réseaux sociaux en cette journée mondiale sans téléphone ?
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Author: Kendra Campbell
Last Updated: 1703552642
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